À 35 ans, le peintre béninois, Roméo Mivekannin, signe sa deuxième exposition à la galerie Éric Dupont, intitulée « Béhanzin ». Un hommage à son arrière-arrière-grand-père, dernier roi du royaume d’Abomey et symbole de l’anticolonialisme.
Texte de Adèle BARI
Le long des murs de la galerie – d’un blanc impeccable – de grands draps cousus entre eux, datant de la fin du 19ème siècle, y sont suspendus. Ils ont été trempés dans des bains d’élixir, avant de servir de support pour le peintre. Ces tissus abritent désormais le portrait d’une lignée royale : celle d’Abomey, ancienne capitale du royaume du Dahomey, l’actuel Bénin. Roméo Mivekannin a esquissé les visages de tout un pan de sa descendance : son ancêtre, des épouses du roi, des oncles et tantes… Il s’est inspiré de photographies, d’images de presse et de documents privés, qu’il a ensuite reproduit sur de grands formats. « Il essaie de révéler, à travers son geste, l’image la plus juste par rapport à la photo dont il s’est inspiré », nous explique Éric Dupont, directeur de la galerie.
Les traits sont spontanés, et d’un réalisme réussi. Aucune perfection ne semble pour autant avoir été recherchée dans la réalisation de ces portraits. « Ce qui compte, c’est le sentiment », certifie le galeriste. Le sentiment, puisque le peintre béninois – au-delà de la chronologie familiale – parvient à nous raconter l’histoire d’un homme ayant tenu tête aux colons français, grâce à une armée constituée majoritairement de femmes amazones. Avant de se livrer, d’être déporté en Martinique et de mourir le 10 décembre 1906 à Alger, en Algérie.
Mais, en réalité, Éric Dupont s’emploie à répéter le dicton sud-africain : « Tant que les lions n’auront pas leurs propres historiens, les histoires de chasse ne peuvent que chanter la gloire du chasseur ». C’est du moins ce qu’a tenté d’accomplir l’artiste : raconter une certaine vérité historique, en se mettant du côté des Africains, ou plutôt, des « dominés », reprend le galeriste. Il poursuit : « Béhanzin préférait mourir plutôt que de se rendre. Il a été capturé, alors qu’il voulait négocier. Mais, ça arrangeait bien les Français de penser qu’il s’était rendu, puisque c’est une manière, comme une autre, d’asseoir la domination, plutôt que d’affirmer que les autres se sont rendus. »
L’autoportrait pour se réapproprier l’histoire
À travers ces tableaux, un autre élément nous frappe : ce visage surgissant par le contraste du noir. Il s’agit de celui du peintre lui-même, qui vient le plus souvent remplacer le portrait de femmes. Il se met en scène, comme en prenant la place de deux épouses de Glélé, père de Béhanzin. Toutes les deux sont assises au pied du trône de Ghézo, neuvième roi d’Abomey, qui régna jusqu’en 1858. Dans une autre production, il se dessine au milieu de la foule, derrière le roi, et deux de ses épouses. Cette photographie avait été publiée douze-ans après son exil en Martinique, lors de son transfert vers Alger.
« En fin de compte, il prend toujours la place de corps dominés », explique Éric Dupont. Dans l’une des peintures, au contraire, « Roméo incarne une certaine forme de puissance ». Il remplace le visage de l’une des épouses du roi, couvrant la tête de ce dernier d’une ombrelle. « Ça, c’est un très grand honneur », témoigne le galeriste.
À travers cette série, le peintre s’inscrit donc à une autre époque. Il s’interroge sur son histoire, ses ancêtres, et sur ces femmes aux regards très puissants. Les pigments noirs utilisés rendent encore plus forte la biographie de ces personnages. L’utilisation de l’élixir, pour les contours de certaines peintures, est lui-aussi un produit significatif. « Il représente le passage de l’enfance à l’âge adulte, puisqu’il n’y a pas d’adolescence chez les Africains », informe Éric Dupont. Au Bénin, dans le rite, les Hommes boivent ainsi le liquide.
Plus étonnant, l’artiste semble avoir souhaité éviter le « côté expressionniste et coloré que l’on voit beaucoup dans l’école congolaise ». Notamment en représentant les tissus wax entièrement en noir et blanc. Toute l’histoire familiale et de domination est ainsi narrée, avec beaucoup d’émotion et d’intensité.
Série Béhanzin, L’Exil du roi et de ses proches au Fort Tartenson, Martinique #3 – Courtesy Galerie Eric Dupont, Paris
L’exposition est à découvrir jusqu’au 24 juillet, à la Galerie Éric Dupont, au 138 rue du Temple, dans le 3ème arrondissement, à Paris. Ainsi que sur l’application Art is Heart. Un ouvrage réalisé par la galerie sortira prochainement, avec un texte écrit par l’anthropologue de l’art, Gaëlle Beaujean.