APARTÉ ou Comment l’art s’est enfui des galeries

TEXTE DE EVA MARTIN

Alerte à tous les galeristes de Paris, des œuvres d’art ont pris la fuite ! Les œuvres fugitives sont d’apparence inoffensive, mais n’en sont pas moins recherchées. Dernièrement aperçues dans les rues du Ve arrondissement de Paris, soyez vigilants.

Pour la seconde édition d’Aparté, le collectif Embrayage associé à l’agence STRATA promouvant l’art contemporain environnemental, a décidé d’exposer des artistes jeunes et engagés au sein de 9 commerces près de la place Monge. Le thème de cette année est l’écologie. C’est donc le 5 juin, lors de la journée mondiale de l’environnement, que le parcours a été inauguré.

Première étape de l’itinéraire conseillé : Fibris, boutique de vêtements biologiques. On ne vous parle pas ici d’une simple surface écologique de marketing, mais bien de Racheli, gérante à l’origine de ce commerce équitable depuis 1989. Celle-ci nous raconte avec passion et fierté le long chemin de l’ascension du textile bio et équitable, qui respecte aussi bien la terre que ses habitants. Dans sa vitrine et sur ses murs, on trouve les œuvres de Morgane Porcheron, artiste lyonnaise diplômée des Beaux Arts de Paris et membre de l’Atelier du Midi. Habituée à la brique, c’est en échangeant avec Racheli que Morgane Porcheron se tourne vers la laine. Elle est présente à la fois traitée et non traitée, accrochée devant nos yeux comme noire ou immaculée, à l’état ou purifiée. Cette laine est placée sur un plâtre et recouverte d’un filet d’échafaudage. Tout a été installé « au millimètre près » raconte admirative la gérante de Fibris. En mariant la laine issue de la ferme Clinamen et le plâtre, Morgane mêle le matériel industriel au produit naturel. La laine recouvrant la planche, on peut apercevoir à travers ces quatre installations la fascination de l’artiste lorsque « La Nature reprend ses droits sur ce que l’homme a construit ».

Un petit creux ? La prochaine escale du parcours Aparté pourrait alors bien être la Maison Landemaine. Voilà une boulangerie où vous pourrez vous torturer l’esprit à choisir entre un croissant ou un cookie. Vous passerez sûrement devant la vitrine sans rien voir de particulier, puis à côté de la caisse sans s’attarder sur les annonces affichées sur le mur d’à côté. Si c’est le cas, vous aurez alors raté les œuvres de Margaux Lelievre. Ne vous en voulez pas trop, c’est à cause de nos yeux trop habitués qui pensent voir sans avoir besoin d’observer. Margaux Lelievre force notre regard à s’attarder sur l’anodin du quotidien. C’est quand on fait l’effort de s’approcher des annonces suspendues sur le mur au papier peint coloré que l’on en vient à ce constat : les annonces sont non seulement vides d’écritures, mais surtout faites de tickets de métro, d’emballages découpés et d’épluchures. Un conseil, regardez aussi le bas de la vitrine de la boulangerie et la table à l’intérieur. Margaux Lelievre est une écolo dans la pratique de son art, elle récupère et recycle tous type d’objets pour pouvoir les détourner et les exposer.

Pour se désaltérer, il faudra faire quelques pas avant d’atteindre la Juice Box. Esther Michaud a choisi comme support artistique les plantes aromatiques omniprésentes dans ce bar à jus biologique. Au dessus du bar sont suspendues trois pièces de l’artiste formant la série « Hors Sol ». On a une radiographie du Persil, une sculpture en résine prise dans des barreaux de fer et des graines disposées sur un fond fait de plastique et de plâtre. Si le titre nous évoque la méthode d’élevage intensif controversée, ces œuvres tridimensionnelles pourraient aussi questionner l’exploitation des plantes faite par les hommes. Cette utilisation de la plante, et plus particulièrement de la graine, a également été abordée sur le Parcours Aparté par l’artiste Louise Vendel. Surprise d’en savoir si peu sur une plante qui nous semble si proche, l’artiste s’est penchée sur la plante du café. Sous le toit du Torréfacteur Loutsa, Louise Vendel a dressé un portrait d’un caféier drapé d’une fine et légère étoffe. Par cette installation, l’artiste nous incite à reproduire sa démarche, à soulever le voile pour découvrir le caféier et tous ses différents aspects. Des sacs imposants de café accumulés sur le sol nous séparent de l’œuvre. Ils doivent être enjambés avec agilité pour pouvoir s’approcher. L’installation autour du dessin éveille notre curiosité qui bute contre les obstacles de l’apparente évidence. Evane Rocheteau, membre du collectif Embrayage, nous raconte d’un œil amusé l’escalade déterminée d’un enfant au-dessus de ces sacs de café quelques jours auparavant. 

Louise Vendel n’est pas la seule à avoir joué sur l’interactif dans ce parcours. Dans la boutique de thé biologique Florel en Provence, Mécistée Rhéa a installé un pan de tulle orné de mousse végétale et brodée. Des cylindres en Plexiglas y sont introduits. Des bouts de papiers soigneusement pliés y sont disposés. Libre à nous de les récupérer et de les ouvrir pour voir ce qui y est caché. Vous trouverez des vœux parfois intimes, vous liant momentanément à des inconnus qui le resteront ainsi. Papier et Crayon sur votre droite, c’est à vous maintenant de compléter cette œuvre. 

En remontant la rue de la sorcière bien connue, l’épicerie en vrac Day by Day vous attend. Fruits, Légumes, Épices, Hygiène et Animalerie, tout y est. En allant vers le fond du commerce, levez la tête. Vous voilà surplombé d’une arche de tickets de caisse liés par des coutures en fil rouge. Voici l’œuvre de Clovis Rétif. Ces tickets stockés et abandonnés dans le fond des caisses sont suspendus au-dessus de notre tête. L’artiste a ainsi utilisé ce déchet de consommation délaissé pour nous forcer à prendre conscience des dangers engendrés par notre société.  Suivant comme lui l’injonction de Gainsbourg à laisser parler les p’tits papiers, l’artiste Socheata Aing a choisi d’exploiter des photographies perforées. Son travail est exposé à l’imprimerie Grafeez, 11 rue de l’Epée de bois. La superposition des différentes photos trouées donne des images difficiles à distinguer. Voyez-vous le sentiment à la fois flou et familier que l’on ressent lorsque nous essayons de nous remémorer des souvenirs de notre enfance ? Et bien, ces photos perforées en seraient une traduction matérielle.

Avec le parcours Aparté, même votre pharmacie de quartier devient une maison d’art. « Peintures Solubles » est l’œuvre de Chloé Jeanne exposée dans la Pharmacie du Ve, spécialisée en médecine douce. Sensibilisée à la science de l’organique après avoir résidé au CNRS d’Orléans, cette artiste a construit sa peinture à partir d’un protocole d’expérimentation chimico-plastique. Le résultat donne une peinture suffisamment transparente pour voir les passants marcher tranquillement devant la pharmacie. Dans un lieu destiné à soigner les corps, Chloé Jeanne utilise les réactions bio-chimiques pour mettre la matière organique au service de son art. 

Enfin, nous arrivons à l’étape finale de notre parcours : L’Arbre Bleu. Avec Arthur Guespin, les fleurs se sont échappées des beaux bouquets. Les voilà flottantes et décolorées, tenues dans un bain d’alcool par des poids accrochés à leurs pieds. Les fleurs usuellement métaphores de l’éphémère, sont ainsi figées et immobilisées dans de longs verres aux hypnotisants reflets. La Fleuriste raconte reconnaissante la fructueuse collaboration avec Arthur Guespin : « Nous l’avons accompagné à toutes les étapes de son processus de création ( …) l’entraide a dépassé le cadre de l’exposition et s’est étalée vers d’autres projets beaucoup plus larges  » 

L’aspect premier à retenir de cette agréable balade dans le Ve arrondissement parisien est la collaboration multiple pour l’aboutissement de la deuxième édition d’Aparté. Tout d’abord entre les membres du Collectif Embrayage et l’agence Strata, puis entre les artistes et les commerçants qui ont réussi à s’adapter les uns aux autres et se soutenir mutuellement. Le challenge de la mise en place d’œuvres in situ dans des espaces parfois étroits a été relevé avec succès. L’autre déterminant commun de ce Parcours serait la force de l’engagement des artistes comme des commerçants. Tous valorisant une chaîne de production éco-responsable, des circuits courts et des matières premières respectueuses de l’environnement. On pourrait citer la bataille contre « La Rose Rouge de la Saint Valentin » de la fleuriste de l’Arbre bleu. Les roses rouges sont en effet produites en masse au Kenya pour répondre à l’astronomique demande du 14 février. Le très lourd bilan carbone enlève toute légèreté à nos bouquets, et la pousse donc à nous conseiller pour l’année prochaine de déclarer notre flamme avec des fleurs de saison dont l’effet sera ( presque ) toujours assuré.

Du 5 au 20 juin l’art jeune et contemporain s’est bien évadé des murs blancs des galeries. Il a dû s’adapter, s’accorder, s’infiltrer là où l’on ne l’avait pas destiné. Ainsi, le parcours Aparté, c’est finalement un moyen de déclarer que l’Art doit être partout pour nous contraindre tous à regarder autour de nous.

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