« Les femmes guerrières sont capables d’avoir les deux : la force et la féminité », Vee Speers
ENTRETIEN avec Vee Speers par Adèle BARI
Symbole de la beauté et de la force intérieure : « Phoenix, Rise from the Ashes », est un hommage aux femmes et à la nature. La photographe australienne, Vee Speers, signe vingt-trois photographies, dont une sélection est exposée, jusqu’au 17 juillet, à la Galerie XII, à Paris. L’artiste met en lumière des modèles, souvent assises et centrées, aux regards doux, apaisés, ou parfois très affirmés. Les costumes, d’une grande élégance, sont inspirés de l’époque victorienne, remaniés avec modernité. Son univers frôle également celui du créateur de mode Alexander McQueen : des plumes, des oiseaux, un crâne, du verre brisé. Ces femmes semblent renaître, plus flamboyantes qu’avant, dans un décor brumeux et incertain. Vee Speers nous éclaire sur l’histoire de ces portraits aux teintes délavées.
Où se trouvent vos origines dans cette série ?
Je dirais dans les paysages. En Australie, on est bercés par la végétation, les oiseaux, on a un lien fort avec la nature. Mais sinon, mes influences viennent vraiment d’ici, en France, où je vis depuis plus de 30 ans.
L’histoire légendaire du phénix raconte la renaissance d’un oiseau après avoir brûlé dans les flammes. Comment la femme renaît-elle de ses cendres à travers vos portraits ?
Elle devient encore plus belle, plus forte, plus puissante. C’est une femme guerrière qui a traversé des moments difficiles, et qui en ressort renforcée. C’est très métaphorique, puisque ça représente aussi ce que nous vivons, en tant que femme, dans notre société contemporaine, avec toutes les épreuves auxquelles nous devons faire face. Et justement, c’est en passant par ces moments compliqués que l’on se transforme.
Dans quel monde est-elle représentée ?
Dans un paysage couvert par le brouillard, qui apporte beaucoup de douceur. L’atmosphère est aussi un peu troublante, puisque dans mon travail, il y a beaucoup de nuances avec différentes grilles d’émotions. Après, c’est au spectateur d’interpréter ce qu’il voit. Il peut librement entrer dans mes tableaux, et peut-être se reconnaître par rapport à un souvenir passé ou, au contraire, dans son évolution.
Si nous étions dans un film fantastique, que raconterait le synopsis ?
Je n’ai pas véritablement pensé à une vraie histoire où la femme rencontre un homme et où ils partent sous le coucher du soleil. Mais, ce serait sans doute des femmes guerrières qui ont traversé des guerres ou des catastrophes, et qui, désormais, vivent dans un monde très décousu. Elles seraient très puissantes. Après, je laisse chacun se projeter sa propre histoire.
Les corps sont parfois dénudés, avec la mise en scène des dos et des épaules. La femme phénix, c’est aussi une femme sensuelle ?
Les femmes guerrières sont capables d’avoir les deux : la force et la féminité. C’était très important pour moi de les représenter avec des robes, et de prouver qu’elles peuvent être fortes tout en restant féminines.
Au-delà des portraits de femmes, il y a aussi des photographies d’oiseaux et des paysages. Qu’apportent-ils ?
Ils accompagnent simplement les portraits, car on peut imaginer que des oiseaux se promènent tout autour de ces femmes. J’aurais également pu ajouter un serpent, puisque c’est un animal très sensuel.
Les parures sont très belles, on dirait presque qu’elles ont été dessinées par Maria Grazia Chiuri chez Dior. D’où viennent-elles ?
Je confectionne moi-même les costumes. Certaines jupes et robes viennent de la boutique vintage d’une amie. J’ai également trouvé des tissus de luxe d’époque à Lyon, où j’ai pu acheter les chutes. Ensuite, je les transforme un peu comme je le veux. Par exemple, sur une photographie, j’ai décidé d’assumer complètement l’esprit victorien avec des manches en gigot et une bague en scarabée émeraude. J’essaie aussi d’apporter de la modernité, comme avec cette mannequin métisse qui ne porte qu’une jupe ancienne, sans le haut.
Cette série, comme certaines que vous avez pu réaliser, se positionne-t-elle aussi contre la mode ?
Dans celle-ci, j’ai carrément brûlé une espèce de cape bleu turquoise et déchiré la robe présente dans le portrait avec les plumes. Je travaille aussi avec une maquilleuse qui a sali la peau des modèles avec de la boue et des cendres. Tout ça permet de rendre compte du long parcours de ces femmes après leur renaissance. C’est donc un projet qui va effectivement un peu contre la mode.
Si vous ne deviez sélectionner qu’une seule œuvre parmi les vingt-trois, laquelle serait-ce ?
Elle n’est pas dans l’exposition, car ce n’est peut-être pas une image facile. La femme tient un verre cassé couvert de sang, avec dans le fond, plein de verres brisés. Cette photographie a un effet choc, puisqu’on peut imaginer la jeune femme avoir été battue ou violentée. Mais, nous voyons bien sur l’image que son visage est apaisé et qu’elle a développé une force intérieure.
Untitled #5 – Vee Speers ©Vee Speers – Courtesy Galerie XII
Untitled #18 – Vee Speers ©Vee Speers – Courtesy Galerie XII
L’exposition « Phoenix, Rise from the Ashes » est à découvrir jusqu’au 17 juillet à la Galerie XII, au 14 rue des Jardins Saint-Paul, dans le 4ème arrondissement de Paris, ainsi que sur l’application Art is Heart