À travers des matériaux bruts ou de récupération – rappelant ceux présents dans les camps de réfugiés palestiniens de son enfance, à Beyrouth – l’artiste-plasticien de 38 ans, Abdul Rahman Katanani, évoque le fort contraste entre la brutalité de la réalité et la douce imagination des enfants.
Texte de Adèle BARI
Des oiseaux survolent des silhouettes d’enfants, construits de tôles de zinc ondulées, fixées à du bois brûlé. Ces petits mômes n’ont pas de visage… Ils sont vêtus d’une salopette bleue roi, d’un pantalon vert, d’un bonnet rouge ou d’un t-shirt orange, découpés dans des barils de pétrole aplatis, sur lesquels des balles à la carabine ont été projetées. Au centre d’eux, une installation en fils barbelés s’apparente à un soleil bien arrondi. C’est en réalité un tapis sur lequel les enfants peuvent se coucher. Alex Gobin, assistant de galerie, explique que «les matériaux utilisés rappellent le camp de Sabra, au Liban, dans lequel Abdul Rahman Katanani a grandi». Tout semble pourtant représenter le doux souvenir d’une enfance joviale en plein air…
Abdul Rahman Katanani – Circle Barbed wire – 2021 – Rituals – Courtesy Danysz gallery
«Ce qui le fascine est la capacité des enfants à faire abstraction de leur réalité en s’imaginant vivre dans un autre monde», témoigne Alex Gobin. Katanani est né à Beyrouth, dans le quartier de Sabra, abritant des réfugiés palestiniens, proche du camp de Chatila. Ce lieu a connu l’épisode sanglant du conflit israélo-palestinien de 1982, un an avant la naissance de l’artiste. Les milices chrétiennes des phalangistes libanais ont lancé leurs opérations dans les zones logées par l’armée israélienne pour combattre les Palestiniens de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP). Elles y perpétuèrent le massacre de près de deux mille réfugiés, principalement des femmes, enfants et personnes âgées.
Après la Nakba de 1948, les grand-parents de Katanani ont fui la Palestine pour s’installer dans le camp de Chatila. Lui, a donc grandi à Sabra, dans un monde de pauvreté et d’insécurité, dont il s’inspire dans son travail artistique. À travers cette série, il met en lumière ces enfants arpentant les rues étroites et bondées de Beyrouth, à la recherche de matériaux pouvant bien servir à fabriquer des jouets. Les pigeons voyageurs – souvent au nombre de trois – viennent, eux, symboliser le désir de s’envoler loin, pour finalement revenir au point de départ. L’artiste s’interroge du moins sur ce qui peut le pousser à vouloir retourner sur le lieu d’enfermement de son enfance, où il vit toujours.
Abdul Rahman Katanani – Girl blue salopette – 2021 – Rituals – Courtesy Danysz gallery
Masculinité et féminité bousculés
Ce fil muni de pointes métalliques, présent sur les camps, Katanani s’en est emparé à travers des œuvres monumentales. «Il s’est fabriqué un métier à tisser spécialement pour travailler ce matériau», confie Alex Gobin. Le plasticien avait notamment été plébiscité pour sa série de sculptures gigantesques en forme de tornade, qui rappelle la mer empruntée par les réfugiés syriens vers l’Europe. Elles avaient été fabriquées à partir d’un gros morceau de fil barbelé incurvé, et mesuraient entre deux à huit mètres de long. Tornado (2015) était l’une des plus colossales, en s’érigeant du sol jusqu’au plafond, en énorme vague. Elle s’élevait à cinq cm au-dessus du sol, avec un poids de deux cents kilogrammes.
À l’étage de la galerie, du barbelé a, lui, été transformé en feuillages d’arbres, installé sur un morceau d’olivier, symbole de la paix – et de la Palestine. Cet été, Katanani a également investi les lieux du domaine de Chaumont-sur-Loire, dans le cadre de la Saison d’art, avec «Renaissance». Des nids en barbelés ont été disposés dans les arbres, comme des sortes de refuges métalliques, surplombant la terre…
Abdul Rahman Katanani – Untitled – 2021 – Rituals – Courtesy Danysz gallery
Abdul Rahman Katanani – Girl Drawing Red Shadow – 100 x 135 cm – 2021 – Rituals – Courtesy Danysz gallery
Le travail d’Abdul Rahman Katanani est à retrouver sur les comptes Instagram de @abdulrahmankatanani , @danyszgallery ainsi que sur https://danyszgallery.com/viewing-room/13-abdul-rahman-katanani-rituals/
Galerie Danysz: 78 rue Amelot, 75011 Paris