Roxane Gouguenheim : “une œuvre est un corps”

Roxane Gouguenheim, représentée par la galerie By Lara Sebdon, présentait ses œuvres en juillet dernier au Bastille Design Center. Elle nous a accordé un entretien dans lequel elle nous parle de ses créations, véritables domaines d’études, tout en questionnant sans cesse les notions de techniques, de valeurs et de transparences.

Texte de Joanne Bourdin

Comment est née votre vocation d’artiste ?

Je suis une grande fan d’art, j’ai passé ma vie à l’étudier ! Je pense que ça a toujours été là, mais je l’ai évité du mieux que possible pendant très longtemps. C’est juste que, ce parcours de vie, je ne pensais pas pouvoir le faire, et à un moment c’est devenu une nécessité.

Qu’est-ce qui vous intéresse dans l’exercice d’un travail aussi pluridisciplinaire ? 

Ce n’est pas vraiment un choix personnel. J’écris beaucoup au niveau théorique, c’est vraiment un aspect très conceptuel de ma recherche, que ce soit l’esthétique, la philosophie et la spiritualité. J’essaye de convoquer les choses, qu’elles naissent au monde. Je travaille par série, et chaque série naît, aboutit quelque part et arrive à sa dernière pièce qui tend vers autre chose. Il y a une sorte d’effondrement systématique. C’est une sorte de problématique qui s’est créé dans le fer, qui va muter et parfois changer de médiums ou rester sur le même.

Après je travaille énormément avec la théorie musicale. Je suis quelqu’un qui fait de la synesthésie, donc mon rapport au monde est vraiment fréquent, rythmique et sonore. Tout ce que je vois c’est aussi du son, qui prend aussi des couleurs, des goûts parfois. Tout ça se mélange ! C’est pour ça qu’il y a des toiles qui sont devenues de la musique. 

Roxane Gouguenheim, Negative Noise -6,  huile sur toile © Blax Thom

Est ce que vous pourriez nous décrire le processus de création de votre dernière série Parresia ?

Ça a commencé il y a 4 ans et demi. En plein hiver, il y a une petite bande, à côté de mon atelier à Saint-Denis, qui a brûlé un cabanon voisin. Et donc moi, je me rends à l’atelier et je vois un feu.

Premier réflexe: « C’est super beau ! Qu’est-ce qu’il se passe ? » ça m’a rappelé le sacrifice de Tarkovski avec cette espèce d’incendie sur la neige ! Le lendemain, je suis allée sauver des planches, qui auraient fini par s’abîmer. Donc ça fait 4 ans qu’elles sèchent dans mon atelier !

Roxane Gouguenheim, Parresias © Blax Thom

J’ai commencé à les sculpter, et à imaginer une série, avec ces morceaux de bois qui ont transité par plusieurs vies. Ça a été une cabane, des structures pour une installation, l’objet d’une vengeance, il y a un côté très dramatique. Le détournement des techniques et le processus sont vraiment au cœur de mon travail. Il y a entre 10 et 20 heures de sculpture pour chaque pièce. Elles sont très différentes, elles ont toutes une personnalité très affirmée. L’idée de ce processus de sculpture c’est d’enlever tout ce qui est mort, qui ne tient plus, et de faire surgir ce qui a résisté, ce qui a tenu, ce qui devient l’affirmation de sa sculpture première. J’ai sculpté tout ça avec un scalpel. 

Mon rapport aux œuvres c’est que :  une œuvre est un corps. C’est un face-à-face, il y a un rapport d’égalité. Ce n’est pas le produit que je vois. Là, j’avais vraiment l’impression de guérir un corps qui avait vécu un traumatisme assez violent.

Roxane Gouguenheim, Parresia – 5 © Blax Thom

Roxane Gouguenheim, Parrêsia_1, 192x150cm, bois incendié, bois abandonné et tendeurs, 2021 © Blax Thom

Y a-t-il une ligne directrice qui lie toutes vos œuvres ? 

 Il y a le son, mais surtout beaucoup de questionnement : qu’est-ce qu’une œuvre ? qu’est-ce qu’il se passe ? qu’est-ce qui transite ? se refuse au dialogue ? s’oppose ?

Quand je travaille, ce qui domine vraiment c’est plutôt : est-ce que je vais avoir quelque chose de correct ou quelque chose de juste ? 

Il y a la notion de technique que je questionne beaucoup, généralement, en la retournant complètement. Tout le travail numérique est fait en retournant des logiciels, en les poussant dans leur retranchement jusqu’à ce qu’il beug, et là, ils produisent des formes qui sont déviées. 

Nimi, travail numérique développement photo, 33,5x46cm © Roxane Gouguenheim

Il y a aussi cette notion de valeur. Ce qui est censé ne pas avoir de valeur est au final porteur de puissance. J’essaye d’avoir un rapport assez éthique, de laisser la matière prendre le pas. ! Par exemple, les toiles à huile sont uniquement travaillées avec des matériaux de chantier, tout ce qui sert à enlever ce qui n’a plus de valeur. L’huile vaut plus cher que l’acrylique, qui vaut plus cher que le dessin… où est-ce qu’on casse ces choses là ?

Reish_1, 65×50 , Plâtre déconstruit et brodé, tuile de plâtre, encre, feutre sur verre et cadre en chêne massif © Roxane Gouguenheim

Et après il y a des valeurs au niveau relationnelles, au niveau culturelles, qui ne sont pas toujours prises en considération. Il y a des personnes qui n’ont pas le droit de signer leur maison, leurs chantiers, 30 ans de travail. Nous, on a cette obligation de signer nos œuvres. Ça m’a posé problème au début, qui suis-je pour signer ? A quelle point c’est mon travail à moi ? 

Quels sentiments souhaitez-vous transmettre aux personnes qui viennent admirer vos œuvres ?

C’est compliqué de penser à transmettre, c’est un mot important. On est face à quelque chose qui vit, comme nous, mais dans une temporalité et un contexte totalement différent, et qui nous fait face avec beaucoup d’accueil. Je crois que c’est ça qui m’intéresse, de voir si chacun peut entrer en communication, en dialogue avec les œuvres.

 © Blax Thom

Des projets futurs à nous partager ?

J’aimerais bien continuer cette série, Parresias, ça m’a fait du bien de travailler le bois, ça m’apaise, de rentrer dans ces dialogues de vérité. Ou c’est un détritus, qui n’a pas de valeur et on le jette, ou il est retravaillé et il prend une force qui est celle du témoignage.

En savoir plus sur Roxane Gouguenheim

Roxane Gouguenheim est une artiste plasticienne française de 31 ans. Passionnée par l’histoire de l’art, elle étudie le cinéma et l’esthétique à Paris, puis part à Tokyo pour poursuivre ses recherches doctorales. Elle obtient ensuite un diplôme dans le design et le stylisme de mode, et se met à la recherche d’un atelier. Cet espace lui permet d’explorer davantage la création de matière, et de se découvrir un véritable attrait, non pas pour le prêt-à-porter, mais pour la recherche artistique. 

Son travail pluridisciplinaire considère de nombreux médiums tels que la peinture à l’huile, la sculpture, le travail digital ou encore la musique expérimentale. Ce sont ces diversités de corps qui lui permettent de soulever divers questionnements d’appartenance, de luttes, de hiérarchies et de territoires. Roxane Gouguenheim ne considère pas ses créations avec une volonté de résultat, c’est la matière qui prend le pas et tente de s’exprimer avec justesse. 

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