Éclairage sur Julije Knifer – Galerie Frank Elbaz

L’exposition récemment consacrée au peintre croate Julije Knifer, décédé en 2004, offre l’occasion de (re)découvrir l’un des artistes phares du courant dit « de la non-figuration », apparu au milieu du XXème siècle, et cofondateur du groupe d’avant-garde de Zagreb : Gorgona. La galerie Frank Elbaz a sélectionné des oeuvres historiques datant de 1969 à 1973. Comme toujours, un même motif : les méandres. 

 

 

Texte de Adèle BARI

Des formes sinueuses et rectangulaires recouvrent un fond enveloppé d’une gamme chromatique très réduite. Il s’agit le plus souvent d’un noir profond, qui s’étend sur toute la toile, sur laquelle s’embrassent les méandres tracées en blanc. C’est du moins l’essentiel de l’œuvre de Julije Knifer, né en 1924 à Osijek, au Nord-Est de la Croatie, qui a mis au point son unique motif en 1959. Cette forme se construit sur l’horizon et le vertical, en référence au temps qui passe, à la monotonie, au rythme réitéré de la vie… Et plus distinctement, à la répétition des gestes et mouvements du quotidien. Les méandres forment des segments nettement dessinés, et reliés – directement ou indirectement – par l’excellence des lignes. Le peintre semble aussi vouloir combler le vide, en remplissant les contours par des nuances monochromes… 

Mais, à travers cette sixième exposition du peintre à la galerie Frank Elbaz, celle-ci nous révèle des couleurs d’une grande rareté dans l’œuvre de l’artiste : du gris, du doré, du bleu… Ces changements interviennent au cours de la période de 1969 à 1973, avant ses départs en Allemagne, puis en France, qui eux, se résument par d’autres importantes mutations artistiques. Dans les années 1960, il commence donc par remplacer la peinture à l’huile par l’acrylique, lui permettant une plus large possibilité picturale. Il étudie ensuite les icônes orthodoxes aux teintes dorées des  monastères en Yougoslavie, lors d’un voyage avec son épouse, qui justifie la peinture Sans titre (1969), habillée de méandres noires sur fond doré. 

 

Untitled, 1969, acrylique sur toile, 40 x 50 cm

En 1971, l’exposition personnelle de Yves Klein, au musée d’art contemporain à Zagreb, nous interpelle également sur ses influences de l’international “klein blue”, en particulier pour SP VIII 3, réalisée en 1973. La peinture représente deux méandres d’un bleu roi nettement mis en relief sur une couche noire opaque. La dernière œuvre d’une grande singularité chromatique est MK 73-7 (1973), dans laquelle des méandres noires se dessinent de gauche à droite sur du gris, en débutant au bord de la toile, avant de s’achever à quelques millimètres de l’autre côté, sans jamais se délier.

 

SP VIII 3, 1973, acrylique sur toile, 80 x 100 cm

MK 73-7, 1973, 80 x 100 cm

En parallèle, deux oeuvres en noir et blanc tirent leur particularité dans les méandres (SPVIII 4 et BGS n°3, 1973). La première ressemble à un circuit d’eau atteignant, horizontalement et verticalement, une flaque blanche. La seconde, elle, suit l’étalement horizontal des autres œuvres, mais avec des méandres effectuant un retour sur elles-mêmes, jusqu’à créer une lecture finalement réversible…

SP VIII 4, 1973, acrylique sur toile, 100 x 100 cm

BGS n°3, 1973, acrylique sur toile, 80 x 120 cm

Contexte, rétrospection et création 

La scène conceptuelle de Zagreb se développe sous un régime communiste et socialiste, ouvert à l’international – loin du bloc de l’Est. Les artistes voyagent, entrent et sortent du territoire, échangent avec leurs contemporains internationaux… Dans ce contexte, naît le groupe néo-avant-gardiste, Gorgona, qui facilite un partage artistique entre les artistes d’Europe et du monde entier. Julije Knifer communique ainsi régulièrement avec Lucio Fontana, Robert Rauschenberg, Piero Manzoni… Une première exposition collective du groupe, et du mouvement Nouvelles Tendances, a lieu dès 1961, à Zagreb, avec Piero Manzoni, François Morellet, Victor Vasarely et Julije Knifer. Ensemble, ils font émerger une forme d’« anti-art », prônant une liberté de création totale, dans un esprit assurément dadaïste. Ils rejettent l’art de l’époque, avec cette volonté de libérer les artistes des normes artistiques, et les aider à explorer de nouvelles directions. 

 

Si nous revenons à l’œuvre en particulier du peintre croate, son initiation à l’abstraction s’est imposée dès les années 1950, par l’artiste, écrivain et enseignant croate, Djuro Tiljak, proche de Vassily Kandinsky. En 1957, il découvre les œuvres de l’artiste français, François Morellet, qui applique rigoureusement les notions de géométrie dans l’art, à travers des sculptures, gravures et peintures. Knifer porte également une affection toute particulière au mouvement d’art moderne du suprématisme, fondé par Kasimir Malevitch, dont l’oeuvre emblème est un carré noir sur fond blanc. De là, le peintre développe une œuvre très personnelle, en expérimentant cette forme simple – les méandres – à la mine de crayon ou avec du graphite sur un papier lourd et rugueux, en guise de maquette, avant de recouvrir les toiles.

 

Crayon sur papier, photographie Claire Dorn

La galerie Frank Elbaz explique finalement que « tout comme On Kawara dans ses Date Paintings, Knifer a utilisé un thème singulier dans son travail pour enregistrer l’existence intemporelle et la répétition de la forme la plus pure et la plus simple, créant le calme et la beauté qui se dégage de ces œuvres ». En déménageant à Paris dans les années 90, au moment où la guerre éclate en ex-Yougoslavie, Knifer, en tant que réfugié politique, va encore plus loin, avec la réalisation de peintures murales, qui ont été à nouveau exposées à la galerie en 2018. Il est, aujourd’hui, considéré comme l’un des peintres croates les plus importants du XXème siècle. Knifer n’a jamais cessé de réinventer son motif unique et de faire preuve d’une grande fidélité à l’œuvre d’une vie. 

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