En Janvier 2020, la NASA découvre une nouvelle exoplanète dans la constellation de la Dorade : la TOI 700D , à prononcer en détachant les lettres. D’après la distance qui la sépare du Soleil, de l’eau pourrait être présente sur son sol … Cette possibilité vient alors mettre en ébullition notre esprit autour de la fameuse question intemporelle : existe-t-il d’autres formes de vie que celles que nous connaissons ?
Texte de Eva MARTIN
Etant donné que cette exoplanète est située à 100 années lumières, la seule façon d’y être est pour l’instant de s’y imaginer. Le commissaire d’exposition, Fabien Danesi, a donc décidé de réunir les œuvres de 10 artistes à la Galerie des filles du calvaire, sur le thème de cette découverte.
Dans la galerie lumineuse du quartier Oberkampf, l’étrange et le familier se retrouvent dans des photographies, installations, sculptures, vidéos, et peintures. En passant la porte de la cour intérieure, nous tombons nez à nez avec des amas de sable noir dispersés sur le sol, sur lequel des créatures informes, faites de verres soufflés y sont posées. Les figures sculptées scintillent et intriguent le visiteur qui déambule autour d’elles. Yan Tomaszewski nous immerge ainsi dans son installation Khton, extraite de ses courts métrages, qui illustre une aire géologique future où le minéral reprendrait ses droits. Yan est un artiste franco-polonais, vidéaste et sculpteur. Celui-ci a été formé à l’école Fresnoy, comme l’artiste Cindy Coutant, qui expose son œuvre vidéo Télédésir sur un des murs surplombant l’installation de Yan Tomaszewski.
Dans cette vidéo de 24 minutes symbolisant toutes les heures d’une journée, des escargots se croisent, avancent et se chevauchent sur un plateau. Cet ensemble baveux et dansant est rythmé par des changements de lumières et de la musique électronique douce. Sur la maquette géométrique, les escargots bougent à leur convenance et c’est “le regard humain qui va donner des sentiments à ces animaux”, déclare l’assistante de galerie Valérie Bazin. Face à cet être vivant si étrange, on y cherche des similitudes avec des repères connus. L’artiste a filmé longuement et de près des bêtes sur lesquelles nous n’avons pas l’habitude de nous attarder, fuyant par dégoût ou par désintérêt. Elle nous fait ainsi découvrir de l’inconnu dans le quotidien, des OVNIS de nos jardins dans une sensualité visqueuse.
La dernière pièce vidéo de l’exposition TOI 700D est celle de Ben Rivers. Son œuvre Look Then Below est projetée dans une salle plongée dans la pénombre à l’étage de la galerie. L’artiste a recréé un univers féérique à partir des vidéos en pellicules argentiques tournées dans les grottes de Wookey Hole, dans le Sud-Ouest de l’Angleterre. En y superposant des images de synthèse, Ben Rivers nous entraîne dans une balade fantastique où les eaux scintillent et glissent entre des pierres fluorescentes. L’œuvre, selon Valérie Bazin, pourrait être résumée comme « un monde merveilleux sur un poème onirique de Mark Von Schlegell ». Le poème anglais lu d’une voix hypnotisante raconte une rencontre extraterrestre dans un univers parallèle et semblable à celui que nous connaissons.
« La Communauté street art », comme l’appelle Valérie Bazin, a aussi répondu à l’invitation du commissaire d’exposition Fabien Danesi. Une fresque de montagnes bleues sur fond violet recouvre deux murs de l’étage de la galerie. Botond Keresztesi a peint un univers qui lui sert de fond pour ses peintures, sur lesquelles elles sont accrochées. Avec des couleurs électriques, Botond a créé trois extraterrestres mélangeant objets et animaux. Le premier est un mi taureau doré mi cheval avec des pieds de tables à la place des sabots et une queue de poisson. Le deuxième possède une tête d’Alien et un corps de cheval avec des pieds en escargots. Enfin, le dernier est un escargot aux yeux enflammés, supportant une tête métallique rappelant celle du robot particulièrement bavard C-3PO de Star Wars. « Ce sont des créatures de sa propre mythologie », nous décrit l’assistante de galerie, des créatures nourries de films populaires et de monstres antiques. L’immense œuvre sur bâche transparente de Antwan Horfee vient se dresser devant le fond montagneux peint par Botond Keresztesi. Les productions de Antwan Horfee sont souvent influencées par le monde des animés. Seulement, dans son œuvre exposée à la Galerie des Filles du calvaire, les illustrations sont à moitié effacées, sur le chemin de la disparition et donnant un rendu d’ensemble abstrait.
Pour l’exposition mettant à l’honneur l’exoplanète récemment découverte, la sculpture est également présente sous des formes très différentes. Celle que l’on peut voir en premier en montant les escaliers de la galerie, c’est la pièce de Claire Van Lubeek. Par une sculpture d’assemblage et de détournement des objets, l’artiste construit des hybrides entre la machine et l’animal. Elle reprend des capots de moto qu’elle enfile dans des corsets écartés, elle y accroche des cheveux faisant office de queue avec des écouteurs suspendus. On ne sait plus si ce sont les objets qui ont pris forme vivante, ou s’il s’agit de l’animal qui a été disloqué puis reconstitué.
Là où Claire Van Lubeek construit l’inconnu à partir d’objets récupérés, Kim Farkas essaie, lui, de créer son propre effet de matière. Il dessine sa sculpture, puis lui donne vie avec une imprimante 3D. « Sur du plastique blanc transparent, Kim vient enfoncer certaines lignes pour leur donner plus de forces et de profondeurs ». En travaillant les couleurs sur le plastique, Kim Farkas donne l’illusion d’une texture métallique. Ses trois pièces longilignes comportent une tige lumineuse à l’intérieur, qu’on ne peut pas distinguer à la lumière du jour éclairant la galerie. Sans pour autant que ce soit l’intention directe de l’artiste, les trois sculptures de Kim Farkas viennent rejoindre l’univers de Science Fiction de l’exposition.
L’imposante carcasse de plâtre suspendue par des câbles ethernet, disposée à côté des tubes lumineux de Kim Farkas, est l’œuvre de Roy Köhnke. « C’est une de mes pièces préférées, déclare Valérie Bazin, avant de poursuivre, à l’intérieur on voit de pesantes entrailles qui peuvent rappeler les tableaux de Francis Bacon, où l’on retrouve cet amas de chair, et puis de l’autre côté, on fait face à la beauté du plâtre poncé pendant des jours et des jours jusqu’à donner ce résultat extrêmement sensuel ». Roy Köhnke fait partie du collectif d’artistes le Wonder, qui habite des squattes autorisés pour faire leurs propres expositions et organiser des résidences d’artiste. Le sculpteur rejoint l’irréel par du gore silencieux, dans « une beauté bizarre très intrigante ».
Les seules photographies exposées sont celles de Noémie Goudal. La photographe française trompe notre œil par des installations jouant avec l’illusion des dimensions. En pleine nature ou sur un sobre bâtiment, l’artiste dresse des feuilles de papier sur lesquelles sont imprimées un rectangle de jungle, ou un bunker de plusieurs mètres de haut. Elle joue de nos perceptions pour interroger ce que nous pensons réel ou non.
En partant de la galerie, ou avant d’y entrer, vous ne devez pas passer à côté des deux œuvres de Daiga Grantina exposées dans la vitrine sur rue de l’exposition TOI 700D. « Yet to be titled » est une installation faite de l’écorce de branches d’arbre recouverte de papier d’aluminium. Dans cette parure pleine de reflets, les branches connaissent une nouvelle vie parallèle dans laquelle elles seraient des objets fragiles chatoyants. Puis, la deuxième production de Daiga Grantina, « Dwo », mélange plastique rigide et tissu transparent dans une allure biomorphique.
Finalement, le commissaire Fabien Danesi a décidé de nous faire explorer toutes les spéculations que l’on peut projeter sur l’inconnu en choisissant l’exoplanète TOI 700D. La découverte de ce nouveau corps céleste implique des terres, et peut-être, des être nouveaux que les 10 artistes ont peints, sculptés, filmés ou photographiés selon leurs imaginaires nourris par des images de l’enfance et leur esthétique propre.