Au moyen de techniques anciennes, le photographe suisse, Douglas Mandry, a prélevé les dernières traces des glaciers, avant leur dissolution complète d’ici quelques années. Il dévoile les deux parties de sa série Monuments, à Paris.
Texte de Adèle BARI
«Une brève fissure de lumière.» Celle-ci vient réchauffer les glaciers, les transformant peu à peu en un élément liquide, jusqu’à leur disparition… À travers une mise en abyme, le photographe de 32 ans, Douglas Mandry, met en lumière les transformations des êtres humains sur ce territoire de glace. «Il a créé ce grand sténopé qu’il transporte dans son vanne dans les Alpes suisses, dans lequel il place du papier argentique et de la glace qu’il récupère directement sur les glaciers. Ensuite, il ouvre ou ferme les obturateurs selon la luminosité sur le site, et procède à une prise de vue relativement longue», nous explique Valérie Cazin, directrice de la galerie.
En regardant ces photogrammes, des formes de stalagmites, stalactites, surgissent au milieu des faisceaux lumineux et de l’eau. Certaines, s’apparentent à des os humains, comme une radiographie du corps. La galeriste témoigne qu’il s’agit d’une «approche à la fois très sensuelle, puisqu’on est dans la matière, avec un rapport direct avec le papier. Mais aussi, un peu scientifique, avec l’idée d’un carottage dans la glace». Les titres dévoilent d’ailleurs, de façon très didactique, le nom du glacier et la date de prise de vue.
Cette partie de la série Monuments, rend néanmoins compte d’un travail photographique hyper esthétique, des beaux-arts. L’effet donné et les teintes obtenues – souvent orangées, renvoyant très antinomiquement à la chaleur et la candescence – créent une harmonie de tâches, de formes et de couleurs. Ces dernières se dessinent parfois dans une évolution chromatique, ou s’assemblent avec goût. Elles restent pourtant très aléatoires en fonction du temps : «C’est toujours une grande découverte lorsqu’il développe les photos chez lui à Zurich. Il y a une part de hasard assez forte.»
Archives par anticipation
Les autres œuvres de la série nous téléportent à la fin du XIXème et début XXème siècles. Les glaciers sont à leur âge d’or, hauts et solides. Ces photographies, tirées d’archives, ont été transférées à partir du procédé de la lithographie, sur des couvertures de glaciers. Il s’agit, plus précisément, de bâches textiles qui ont servi à les recouvrir au cours de l’été 2020. Cette technique de recouvrement a été conçue, ces dernières décennies, pour lutter contre le réchauffement climatique et la fonte des glaces. Ainsi, «il essaie, dans la mesure du possible, qu’il y ait un dialogue qui se crée entre la forme de l’image d’archive et la couverture», précise la galeriste.
Des stigmates, taches d’eau, salissures, déchirures et marques de surpiqûres apparaissent à la surface du support. Ils viennent se superposer et prolonger la montagne. «Ce que j’aime beaucoup dans cette mise en dialogue, c’est qu’il y a des éléments très ambivalents et ambigus. Nous ne savons pas très bien ce qui provient de la couverture ou de l’archive», nous confie-t-elle. Douglas Mandry travaille donc à partir de cette double temporalité, en faisant cohabiter ensemble des images du passé – dont la plus ancienne date de 1868 – avec des chutes de couverture très récentes. Il déroule de là, un discours très engagé. Ces couvertures sont coûteuses et jetées chaque été, plutôt que réutilisées d’une année sur l’autre. Elles sont également fabriquées, à la fois par recyclage, mais aussi par l’utilisation de matières plastiques.
«Cette réflexion qu’il a mené est rarement utilisée dans le champ de l’art, mais plutôt dans celui des documentaires. Et pour moi, la façon dont il l’amène dans les beaux-arts est beaucoup plus pérenne.» Dans quelques années, ces photographies seront donc une trace tangible, à la fois de la genèse des glaciers, de leur disparition et de cette «tentative vaine de sauvegarde par ces sortes de couvertures de survie». L’artiste a du moins anticipé ce qui ne sera, en définitive, plus photographiable d’ici la fin de ces paysages glacés.
Douglas Mandry, Guggigletscher, 1868, série Monuments, 2021, lithographie sur géotextile usagé
Douglas Mandry, Plaine Morte, série Monuments, 2021
L’exposition est à découvrir jusqu’au 24 juillet, à la Galerie Binome, au 19 rue Charlemagne, dans le Marais, à Paris. Ainsi que sur l’Application Art is Heart.