Les NFT, “Non Fungible Tokens”, secouent le monde de l’art depuis plusieurs mois. Ce nom est sur toutes les lèvres, et pourtant, il reste un phénomène très controversé. Quand on ne s’y connaît pas en crypto ou en blockchain, les NFT restent un concept très flou. Véritable révolution artistique ou simple bulle spéculative, qu’en pensent les artistes, collectionneurs et galeristes ?
Texte de Joanne Bourdin
Qu’est-ce qu’un Token non Fongible ?
Pour commencer, lumière sur le terme fongible! On qualifie de fongible un élément d’une certaine valeur, mais qui peut se remplacer par un équivalent de même nature. À l’inverse, quelque chose de non-fongible ne peut être remplacé par un autre élément, et c’est ici que réside tout le principe des NFT. Il est unique et son unicité est facilement identifiable.
Les NFT s’illustrent comme des actes de propriété, principalement utilisés pour des œuvres d’art numériques et/ou de collections. N’importe qui peut consulter l’œuvre, mais elle n’appartient qu’à une seule personne. Le NFT est une technologie.
Pourtant, la frénésie autour de ce nouveau phénomène ne s’arrête pas. D’après un rapport mené par le cabinet Marketsandmarkets, le marché des NFT devrait continuer de croître de 35% par an et représenter 13,6 milliards de dollars en 2027. En mai, le marché était estimé à 3 milliards de dollars.
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C’est l’un des secteurs les plus en expansion de ces dernières années, mais, concrètement, les NFT, ça sert à quoi?
Cette technologie intervient comme un outil d’authentification d’une œuvre. Lorsqu’un artiste vend son œuvre sur la blockchain, celle-ci sera achetée par un collectionneur qui se l’approprie. Il possède ainsi un acte de propriété sur le bien. Elle n’appartient qu’à lui, et il est également libre de la revendre.
Olivier Waltman, directeur de la galerie du même nom, s’est récemment essayé aux NFT lors de sa dernière exposition, “When the lights Appears” de Jorge Enrique. Nous l’avons questionné sur le rapport qu’il entretenait aux NFT et son avis sur ce nouveau phénomène.
“L’artiste touche 10% de chaque revente à venir de ses NFT. Sur le marché de l’art traditionnel, le droit de suite existe pour les artistes décédés mais il n’est pas réellement pratiqué pour les artistes vivants. Lorsque le marché vend et revend des œuvres d’artistes vivant, sauf si ça a été excessivement contractualisé en amont, l’artiste ne touche pas sur la revente. La NFT garantit une ressource comme un droit sur chacune des reventes, et quand on sait la précarité de la vie de beaucoup d’artistes, j’ai tendance à y voir une bonne chose. Cela leur donnera peut être un revenu complémentaire et une meilleure stabilité financière.”
Jorge Enrique, Inner Garden I & Inner Garden II, 2022, jeton non-fongible (NFT), Acrylique sur papier Yupo, 149 x75 cm, Vendu 0,43 ETH par oeuvre chez la Galerie Olivier Waltman. © Galerie Olivier Waltman.
Si ce type de contrat aurait pu être mis en place plus largement dans le monde de l’art traditionnel, le format digital assure une traçabilité numérique qui facilite grandement le processus. Il n’y a pas le problème de la physicalité, de rattacher un objet tangible à un marché. L’artiste peut ainsi continuer à gagner de l’argent sur ses œuvres déjà vendues, suivre leurs cheminements et leurs ventes, tout en touchant un pourcentage sur ces dernières.
Qu’en pensent les artistes ?
“Pour construire ce que j’ai fait en dessin, ça m’a pris énormément de temps. Alors que là, je n’avais jamais fait de NFT et en trois jours ça a généré 200 000 euros de chiffres d’affaires. Le marché secondaire a été d’environ 60 000 euros d’œuvres échangées. C’est énorme. Après c’est aussi beaucoup plus transparent, les mecs veulent avoir des infos sur tout.” nous explique Léonard Combier (représenté par la galerie By Lara Sedbon) un artiste illustrateur qui s’est récemment lancé sur les NFT en présentant une collection de 1000 œuvres sur la blockchain. “C’est un bon coup à jouer mais je ne compte pas me spécialiser dedans pour autant. C’est vraiment le côté financier. Mais après c’était super cool de découvrir ce monde aussi”.
Leonard Combien, Untitled, 2016, 100 x 150 cm, Acrylic Posca and Ink on Canvas © Léonard Combier
Si Léonard Combien est déjà suivi par la galerie byLaraSebdon et s’est fait une place sur le marché de l’art traditionnel, ce n’est pas le cas de tous les artistes producteurs de NFT. Sur la blockchain, il n’y a pas de règles à respecter pour être éligible ou non à vendre son art. Les NFT sont “sans autorisation”, n’importe qui peut en créer, en vendre ou en acheter.
Pas besoin d’une galerie pour être représenté et exposé, ce système permet à des artistes qui ne correspondent pas particulièrement aux codes du marché de l’art traditionnel de développer leur art et d’y gagner une forme de revenu.
Marché de l’art traditionnel et NFT: un mariage délicat
Le marché de l’art traditionnel et les NFTs semblent incomparables, et visent des publics souvent différents, qui ne portent pas les mêmes attentes. Alors que dans l’art traditionnel, on met souvent en avant une certaine politique de confidentialité, du côté des NFT, la provenance, la traçabilité, le prix… tout est accessible. Selon Brian Beccafico, collectionneur de NFT, “L’opportunité (des NFTs) c’est la transparence.”
Brian Beccafico, collectionneur de NFT, entouré de « CryptoPunks » d’Odile Finck, à Jouy-en-Josas (Yvelines), le 18 avril 2022. © LeMonde
“La transparence c’est un peu une opportunité à double tranchant. Personne ne se plaint quand tu vends ta maison plus chère que tu ne l’as acheté, ça parait normal. Alors que pour les NFT, quand tu vends l’œuvre plus chère que tu ne l’as acheté, ça crie à la spéculation directement. Dans les galeries, quand tu achètes une œuvre à 50 000 euros, tu ne sais pas que le galeriste il l’a acheté 10 000, et tu l’achètes avec un grand sourire.”
Cette diversité des publics permet toutefois d’élargir le nombre d’intéressés au monde de l’art. Ainsi, durant l’exposition “When the light appears”, qui présentait des NFT, Olivier Waltman a constaté la venue d’un nouveau public du fait de la présence d’œuvres numériques. Cela permet d’attirer un public qui n’a pas forcément la curiosité, ni l’envie de se rendre dans une galerie d’art traditionnelle.
“J’ai cet a priori que c’est une bulle. Mais ça peut être très intéressant par exemple pour un jeune artiste qui n’a pas forcément accès au système de galerie et qui veut envoyer ses œuvres à l’internationale.” nous confie Michaëla Hadji-Minaglou de la galerie Afikaris.
Pour beaucoup d’acteurs du monde de l’art traditionnel, les NFT sont considérées comme une bulle spéculative pouvant exploser à tout moment.
“J’ai peur que ce soit une bulle dans le sens ou j’ai peur que les collectionneurs de NFT aient des buts spéculatifs, de revente, et non pas par passion, avec des rotations rapides des NFT” nous confie Philippe Tavaud, collectionneur d’art.
“Ça me dérange que des gens collectionnent des œuvres d’art en NFT comme ils pourraient collectionner des cartes panini”
Ce raisonnement ne vient pas seulement des disparités qui opposent ces deux milieux. Le marché des NFT souffre d’une grande volatilité. L’opportunité qui permet à n’importe quel artiste d’y poster ses œuvres, implique qu’il n’y a pas de mécanisme pour évaluer les actifs. Avec l’explosion du marché en 2021, même des œuvres avec peu de qualité artistique se sont vendues à prix fort.
Comme dans tout milieu, parmi les collectionneurs, certains y voient l’opportunité de spéculer, de faire beaucoup d’argent en peu de temps. Si certains, comme Brian Beccafico, considèrent également le monde de l’art traditionnel comme une bulle spéculative, la transparence du marché des NFT permet de chiffrer ces reventes.
Selon le collectionneur de NFT, en moyenne, un collectionneur ne garde une œuvre qu’entre 30 et 60 jours avant de la revendre. Cette rotation très rapide s’explique par le fait que les valeurs des NFT peuvent augmenter très rapidement.
D’après un rapport de l’Atelier, en 2020, le prix de certaines œuvres, parmi les plus populaires, a augmenté d’environ 2 000%.
Que retenir au final ?
Révolution du monde artistique ou bulle spéculative, il est encore trop tôt pour le dire ! Mais certains acteurs du monde artistique ne veulent pas rater le coche.
De nombreuses galeries d’art traditionnelles se penchent sur le sujet des NFT, tandis que d’autres se lancent tête baissée pour conquérir cette nouvelle technologie.
“J’ai le sentiment que certaines galeries freinent un peu, parce qu’elles estiment qu’elles n’ont rien à y faire et d’autres y vont parce qu’il faut y être. Il y a plus une recherche de statut que de vrai passion artistique” nous partage Philippe Tavaud, collectionneur.
Pour autant quelque soit l’objectif visé, les codes du monde de l’art traditionnel et des NFT sont complètement différents, tant en matière de production que de communication.
“C’est vraiment deux publics très différents. Tous les gens qui ont acheté mes NFT sont beaucoup dans les crypto, sur Twitter, ils ont des codes particuliers, c’est un mode un peu à part, un truc de geek. Si tu veux que ça marche il faut s’adapter aux codes de cette communauté, c’est pas les mecs qui achètent de l’art classique.” nous explique Léonard Combier, artiste.
“Les artistes producteurs de NFT n’ont pas forcément envie d’exister que sur Internet, mais aussi dans le monde réel, mais ils n’exposent jamais, même avec une super côte en NFT. C’est dommage qu’ils n’aient que rarement la possibilité d’exposer dans le monde physique. Les galeristes devraient essayer de trouver des artistes web et les présenter, les exposer, les représenter plutôt qu’essayer de ramener leurs roosters existant dans une sphère qu’ils ne connaissent pas, avec des codes qu’ils ne connaissent pas non plus.” Brian Beccafico
On ne peut pas vraiment parler de concurrence entre la blockchain et le marché de l’art traditionnel. Ce sont deux mondes distincts. Le challenge est de savoir si ces deux mondes vont continuer à fonctionner en parallèle ou finiront par se croiser.