Avec l’exposition « Baïkonour Tour / Vol. 1 », visible du 13 octobre au 27 novembre 2021 à la galerie Ségolène Brossette à Paris, la photographe-plasticienne Sylvie Bonnot nous propose une invitation au voyage et au dépaysement spatio-temporel. Rendez-vous à Baïkonour, au Kazakhstan, pour un voyage dans le temps au cœur de l’industrie aéronautique soviétique.
Texte de Zena Serhal
En 2019, la globe-trotteuse Sylvie Bonnot décide de se rendre au Kazakhstan, à Baïkonour. Cet ancien site de l’industrie aéronautique de l’URSS attire, tous les ans, nombre de touristes. Là-bas, elle a l’impression que la conquête de l’espace et le passage du temps se sont figés, qu’elle est alors de retour aux temps glorieux de l’URSS de l’après-guerre. C’est ainsi que débute son projet, « Baïkonour Tour / Vol. 1 », comme un énième carnet de voyage.
Sylvie Bonnot – La nuit américaine (002), 2021, Baïkonour, Kazakhstan –
Photographie couleur, tirage sur papier mat, 18 x 22,5 cm
Sylvie Bonnot utilise, pour son projet, des archives scientifiques, qu’elle « ose » modifier à sa guise. Au travers de ces vestiges historiques en noir et blanc, les coups de cutter, les brûlages, et toutes les modifications qu’elle y fait, transforment les documents d’archives originels en œuvres à la fois artistiques et scientifiques. Au fil de l’exposition, nous sommes comme happés dans un espace-temps coupé du monde et de nos repères habituels, tels qu’on les connaît.
Sylvie Bonnot travaille depuis 2017 pour le CNES (Centre national d’études spatiales) : l’espace est à la fois l’élément central de son travail et de son œuvre, qu’elle tente de fusionner, notamment à travers « Baïkonour Tour / Vol. 1 »… Son travail, qui recouvre nombre de techniques, procédés et approches différents (brûlage du négatif, incisions dans le tirage, froissage, desquamation, détachage de la fine pellicule de gélatine argentine, transposition de la mue sur d’autres supports…) rend compte de la multiplicité de ses innombrables voyages et expériences aux quatre coins du monde. Artiste polyvalente, elle aime à explorer différentes techniques artistiques tout en les mariant à l’exactitude scientifique. Ses œuvres et expérimentations diverses, issues d’un long travail de recherche documentaire, laissent libre cours à l’interprétation. N’est-ce pas, justement, le but premier de l’art ?
La nuit américaine. L’œuvre a ainsi été nommée en référence à la technique cinématographique (c’est aussi le film éponyme de François Truffaut, sorti en 1973) qui consiste à tourner en plein jour des scènes d’extérieur censées se dérouler la nuit. Le ciel noir est alors contrasté par un éclairage vif, d’où cette impression de nuit étrangement bien éclairée. Les éclairs des photos, réalisées par des coups de cutter, sont comme des effets spéciaux, créant ce monde à part, ce vieux film en noir et blanc sur pellicule que Sylvie Bonnot remastérise à partir de 2019.
Sylvie Bonnot crée ainsi sa propre archive de la conquête spatiale soviétique. Une archive, construite de toute pièce, dont l’artificialité, selon Ségolène Brossette, « remet en question la preuve scientifique, la scientificité par l’image ». Ainsi, à travers son travail « artistiscientifique », un imaginaire spatial s’ouvre à nous — libre à nous, spectateurs, de le découvrir. Une réalité alternative, presque un support onirique : des séquences [souvenirs] « image par image » qui s’effritent [s’effacent] au-fur-et-à-mesure des modifications réalisées [du temps qui passe]. Le projet propose une matérialité du rêve, entre réalité historique et réinterprétation de celle-ci.
Le voyage continue. « Là, elle a utilisé la technique de la mue », explique Ségolène Brossette. « À partir d’un tirage photo, elle va transposer de la gélatine sur différents supports, comme le négatif, le bois, le tissu… Sur plusieurs photos de la même scène, il y a trois mues différentes ; elle sélectionne la meilleure au fil d’une expérimentation scientifique image par image que l’on peut observer. »
Salle de carburants, plan en patchwork de photos composites d’écrans : sur fond noir, parsemé de blanc, c’est comme un retour dans le passé de la puissance soviétique. La visite est un voyage à travers le temps et l’espace, et nous sommes historiens qui scrutent chaque œuvre comme un document unique, à la recherche d’une réponse à nos interrogations. Les réponses sont dans les archives personnelles de Sylvie Bonnot.
Sylvie Bonnot – Les antennes d’or, 2020-21. Baïkonour, Kazakhstan
Photographie couleur, double impression sur verre, 37,5 x 56
Les prémices du projet, amorcés en 2019, ont été récemment publiés dans Revue Espace(s) #20 : Mythologies Individuelles, Observatoire de l’Espace du CNES, 2021.
« Baïkonour Tour / Vol. 1 », du 13 octobre au 27 novembre 2021, à la galerie Ségolène Brossette, 15 rue Guénégaud, Paris 6e.