“DicoKAM”, 193 Gallery

Depuis le 9 mai, la 193 gallery accueille 8 artistes contemporains, dans une exposition inédite. Tous d’origine camerounaise, ils forment le groupe DicoKAM. Ce collectif souhaitent mettre en lumière l’effervescence culturelle de leur pays.

Texte de Joanne Bourdin

Dico pour Dictionnaire et Kam Pour Cameroun, autrement dit, l’envie de donner un champ lexical à la scène émergente camerounaise.

Ce projet naît d’un travail d’archive, de Mary-Lou Ngwe-Secke, sa curatrice. C’est une véritable exploration picturale, mais aussi sociologique et politique. 

Chaque artiste a son intention et produit indépendamment ses propres œuvres, mais ils se rejoignent à travers une même cause, une idéologie : révéler la condition de la jeunesse camerounaise. Si le pays est resté stable depuis des décennies, la situation s’est fortement dégradée dans le Nord de la région. Le Cameroun, surnommé la petite Afrique, est un véritable carrefour topographique, politique et culturel, mais avec une population qui ne cesse de s’appauvrir et une insécurité grandissante.

Loin d’être un modèle démocratique, une seule et même famille est au pouvoir depuis près de 47 ans. DicoKAM amène le sujet du quotidien de la jeunesse, cette nouvelle génération qui se construit à travers un contexte politique incertain.

”Aujourd’hui, qu’est ce que c’est de grandir au Cameroun ?” s’interroge Chloé, assistante de la 193 Gallery

 

L’artiste Sesse Elangwe Ngeseli, occupe une place centrale dans l’exposition. À travers ses toiles figuratives aux réalités multiples, il fait le constat d’une population impuissante, et d’une violence très passive. 

 

“C’est un travail qui reste très engagé, mais il cherche plus à dépeindre la réalité. “ nous indique Chloé, 193 Gallery

  © 193 Gallery

 Il représente ce qu’il a vécu, on trouve des scènes très personnelles, des moments de vie qu’il a retransmis, mais surtout des scènes de tous les jours. On voit des gens qui n’ont rien d’autres à faire que de parler de leur quotidien et des problèmes qu’ils vivent, et donc aussi de parler de politique. “If we could talk” amène une note d’espoir : c’est ainsi que la violence est contrastée avec des œuvres très colorées. 

L’artiste effectue un véritable travail autour des yeux. “Pour lui, quand on ouvre les yeux, c’est quand on prend conscience de quelque chose, et qu’on est plus apte à s’éduquer, à s’élever, et à réfléchir sur cette question, mais ces rapports de force peuvent changer. “ Chloé assistante de la 193 Gallery

Sesse Elangwe Ngeseli, If we could talk, 200 x 250 cm, Acrylique sur toile, 2022,   © 193 Gallery

Contrairement aux autres œuvres de la série, davantage tournées vers les conversations, l’œuvre ci-dessus “ If we could talk”, du même nom que sa série,  illustre une scène plus lourde, plus violente. Sesse Elangwe Ngeseli représente ainsi la mort d’un enfant, fusillé par le gouvernement en allant à l’école. 

Considéré comme jour de manifestation, sortir de chez soi le lundi peut être interprété comme un signe contestataire.

 

“Le lundi, les jeunes ne vont pas à l’école, les gens ne vont pas au travail parce que le fait de mettre un pied dehors, c’est porter atteinte à sa vie. “ précise Chloé, assistante de la 193 Gallery

 

Dans ses œuvres, Sesse Elangwe Ngeseli transmet la volonté de s’en sortir d’une jeunesse qui saigne, et qui, face à une société violente, se retrouve face à un mur.

 

Cette série fait suite à celle de Marcel Tchopwe, qui aborde, à travers des portraits, les questions de la jeunesse, notamment face au monde du travail. Surqualifiée, celle-ci est abandonnée par le gouvernement et forcée à oublier ses ambitions et ses rêves.

“Aujourd’hui, il y a cette jeune génération qui se réapproprie les codes du portrait en se disant, très bien on fait des portraits, mais avec notre prisme à nous et pas celui de nos anciens colonisateurs, et oppresseurs.”

Marcel Tchopwe, Next generation, Stylo et peinture sur papier , 21 x 29,7 cm / unit (34 pièces), 2022,   © 193 Gallery

L’impuissance de la jeunesse est brillamment illustrée par les sculptures de l’artiste Beya Gille Gacha. Sa série des ORANT représente des enfants,  brisés sous le poids des formalités, avec toujours cette question de l’attente et de la passivité. L’œuvre “ORANT 3” est placée sous une verrière. On y observe un enfant, muni de feux d’artifice, portant un tee-shirt à l’effigie du grand-père de Beya.

Beya Gille Gacha, Orant 3, Dimensions variables, Perles, cire, résine, plâtre, pigment et bois, 2020,  © 193 Gallery

Cet enfant souhaite casser le plafond de verre, représenté par la verrière, tout en portant l’histoire de sa famille. Les jeunes générations veulent avancer, mais comment monter l’ascenseur social tout en portant le poids de toute une génération ? 

Ces sculptures sont d’autant plus particulières qu’elles sont réalisées tout en perles.

 

Arnold Fokam aborde, quant à lui, la relation entre le corps et l’eau, une ressource fortement touchée par la pollution au Cameroun, dans ses grandes peintures sur toile.

Arnold Fokam, The keeper of the last sword fish, 160 x 140 cm, Acrylique sur toile, 2022 © 193 Gallery

La nouvelle génération camerounaise est également portée par le collectif féminin New Spirit, qui met en lumière les questions du genre tout en interrogeant notre vision sociétale. Ce groupe est composé de l’artiste plasticienne Grâce Dorothée Tong qui traite de son enfance dans un orphelinat à travers une installation suspendue, d’Aurélie Djiena qui questionne la notion de l’art contemporain camerounais dans des oeuvres mêlant vannerie et toile sur châssis, de Leuna Noumbimboo et ses créations sur la beauté de la symbiose entre la nature et l’humain, puis d’Alida Ymelé, et les femmes, héroïnes du quotidien, qu’elle met en scène telle une observatrice dans ses toiles.

 © 193 Gallery

Chaque artiste vient remarquablement compléter la collection de DICOKAM grâce à un message et une technique unique, faisant écho à une idéologie commune. Élèves ou protégés de Barthélémy Toguo, Hervé Youmbi ou Jean David Nkot, leurs parcours présentent quelques similarités, notamment d’être passé par la Doual’art et/ou Bandjoun Station, des institutions renommés et considérés comme des piliers de l’art camerounais. 

Cette exposition dévoile une nouvelle génération d’artistes engagés, traitant des questions de l’environnement, du statut social, de la politique ou encore de la solitude. Ces préoccupations sont d’autant plus importantes au vu du contexte socioculturel et politique camerounais. 

DicoKAM donnera naissance à deux ouvrages. Le premier volume sera consacré aux huit artistes de l’exposition, tandis que le second traitera plus largement de la scène contemporaine camerounaise. 

 

La 193 Gallery présente DicoKAM jusqu’à la fin du mois de juillet.

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